Education Yoguique, éducation à la santé dans une situation de contrainte physique et dans un but d’affranchissement

Contexte

Le contexte de cette recherche a des origines personnelles qui peuvent toucher d’une certaine façon à l’universalité dans le mesure où chaque être humain expérimente dans sa vie, dans son parcours, dans sa chair, la question de la contrainte. Contrainte subie, contrainte volontaire, contrainte imposée, quelle que soit son origine, celle-ci s’expérimente en chacun de nous à travers le corps. L’expérimentation de la contrainte peut avoir plusieurs objectifs, elle peut s’exprimer dans chaque être humain de plusieurs façons et entraîner des réactions physiques et psychologiques très différentes. Le contexte propre à ce projet était de proposer une pratique du Yoga dans deux espaces et auprès de deux publics très différents mais pour lesquels une prise de conscience de la force intrinsèque du corps, des possibilités qu’il revêt pouvait en faire un terrain d’expérimentation favorisant avec celui-ci une relation plus apaisée et libératrice. Le choix de décliner ce projet dans deux structures aussi différentes qu’une Ecole Professionnelle de danse et qu’un Etablissement Pénitentiaire était important. Il s’agissait d’intervenir dans des lieux où la contrainte n’a pas le même sens, autant dans l’espace où elle se pratique que dans l’esprit de ceux qui l’expérimentent. Dans un Etablissement Pénitentiaire, l’incarcération est en tout premier lieu une privation de circulation. La personne détenue ne perd pas ses droits fondamentaux d’accès à tout ce qui fonde une société humaine (santé, éducation, culture, travail…). Cependant, la géographie et le fonctionnement pénitentiaire imposent un rapport à l’espace et au temps très fortement contraint. Cette contrainte a des répercussions multiples sur le physique et le psychique : limitation du regard, limitation du mouvement, attente, absence de prise de responsabilité dans les mouvements du quotidien, isolement, solitude, etc… Dans une Ecole de danse professionnelle, la pratique de la danse est très exigeante, qu’elle soit classique ou contemporaine. La période de l’apprentissage de la danse (sa régularité, sa quotidienneté, sa répétition des gestes, etc…) m’apparaît comme un parcours de contraintes mobilisant des enjeux complexes. La nécessité d’acquérir une technique et de s’en affranchir une fois celle-ci maîtrisée afin d’atteindre à l’interprétation n’est pas propice à une certaine sérénité dans l’âge de l’adolescence. L’apprenti danseur, en cherchant à atteindre une perfection à l’âge des changements, a tendance à s’enfermer dans un modèle en majeur partie performant. Si la contrainte n’a pas le même sens dans ces deux institutions, dans un contexte comme dans l’autre, la contrainte a des effets sur les personnes et ceux-ci ne sont absolument pas considérés par les institutions en question. Dans les deux cas, on demande à des êtres humains de se responsabiliser (en vue d’une réinsertion pour les uns, en vue d’une carrière professionnelle pour les autres) et en même temps, parce qu’on considère que l’application de « contraintes » leur est profitable, on leur ôte une grande partie de leur capacité de décision, de choix, au nom d’une autorité supérieure légitime qui définit « ce qui est bon pour eux ». J’y vois là une contradiction mais également un terrain d’expérimentation pour une approche de la reconquête d’une autonomie dans le respect de contraintes incompressibles mais desquelles on peut pourtant s’affranchir par la pratique du Yoga. Cet affranchissement doit avoir des vertus physiques et psychiques à la fois libératrices et structurantes en développant des outils permettant d’atteindre, par le corps et la pratique, une projection de soi-même dans un espace plus ouvert.

Objectifs de l’étude

L’objectif était de développer une pratique d’éducation Yoguique par la santé dans une situation de contrainte physique et dans un but d’affranchissement.
Ce travail s’appuyait sur un principe de recherche-action : la démarche dans ces deux milieux reposait sur une intervention relativement « classique » sous la forme d’un atelier de pratique du Yoga mais contextualisée : le territoire d’intervention n’est pas neutre. Les contraintes sont autant spatiales, géographiques, humaines que temporelles.

Chaque séance était un terrain d’expérimentation évolutif. Chaque proposition s’appuyait sur l’observation et l’analyse de la séance précédente. Le public, fortement impliqué dans le temps de la séance et ne pouvant pas être mobilisé en dehors de celle-ci, l’atelier de
pratique de yoga devenait donc l’espace d’une démarche commune et collaborative duquel était issu le protocole.

Dans le cadre du milieu pénitentiaire, l’hypothèse était de proposer une approche du corps permettant de renouer avec la notion de projection, de remobiliser les mécanismes physiques et psychiques permettant de renouer avec les sensations, les perceptions, les notions d’espace, de profondeur, d’intériorité et d’extériorité. Redonner du sens à ce que le corps créé autour de lui. Permettre un regard sur soi qui ne soit pas porté par l’évaluation subjective induite par la faute, raison de la peine et de l’incarcération mais par l’évaluation objective des possibilités d’un corps à reconquérir un espace physique et mental dans lequel la « mécanique » d’une pratique ouvre à la projection et redonne une réalité à la notion de liberté dans un espace contraint.

Dans le cadre de l’Ecole professionnelle de danse, l’hypothèse était de décaler le regard et provoquer une prise de conscience de la prédominance du corps comme « être respirant », vivant, indépendant et pas seulement « machine » au service d’un propos artistique. L’objectif était de proposer des temps de pratique sur la reconquête du souffle (quand l’apprenti danseur travaille bien souvent en apnée) sur la recherche de l’équilibre intérieur (quand l’apprenti danseur se dit « meilleur » du côté droit ou gauche) et de la maîtrise des énergies (quand l’apprenti danseur va chercher le regard dans une « surenchère » de performance).

L’objectif final est de définir un protocole Yoguique d’éducation par la santé permettant aux participants de s’affranchir des contraintes propres au territoire dans lequel ils évoluent par une pratique du yoga leur permettant d’atteindre à une autonomie propre à les porter et à les
accompagner dans un parcours responsabilisant, constructif, positif et libéré.

Conclusions de l’étude

Dans ces deux structures, les deux notions que j’ai le plus mobilisées, en moi et envers les participants sont les notions de liberté et de vérité.
Dans les deux protocoles, nous nous sommes rassemblés (participants et moi-même) autour du corps. C’est l’outil que je connais le mieux et auquel je crois le plus. Et même si ce corps est contraint, il véhicule malgré tout un langage. Le corps est une matière concrète, présente, visible, directe quand on la mobilise avec modestie et vérité. Et si l’on s’attache au corps, on peut comprendre ou deviner ce qui s’exprime derrière la difficulté à dire.
Le corps devient un message, un outil de communication à travers ce que la pratique du yoga convoque en lui. La pratique du yoga permet d’avoir un vocabulaire qui fait référence au corps mais pas uniquement comme une technique ou une philosophie mais comme un monde en soi.
Participer à faire exister ce monde dans chacun des participants à ces deux protocoles a été une expérience de prise de conscience que le Yoga révélait, par la pratique, des potentialités dont nous disposons tous.
Si je n’avais pas fait le choix de ces deux structures, je n’aurais peut-être pas été confrontée aussi rapidement et « brutalement » aux potentialités du corps même lorsqu’il est empêché (et peut être surtout lorsqu’il est empêché), à se relier au monde en décloisonnant son esprit
pour le connecter au-delà de ce que le lieu dans lequel il évolue lui impose.
Ce travail dans ces deux lieux et avec ces deux publics a accéléré cette prise de conscience que le Yoga amène à une forme de liberté, sans fuite, dans l’accession à une connaissance de moi-même et de ce qui nous entoure. La liberté c’est de pouvoir être soi même, d’arriver à trouver en soi des ressources propre pour « faire face ». J’ai du définir des protocoles pour donner aux participants les moyens de « faire face » en étant présent au monde dans les moments où le stress et la douleur pourrait prendre le dessus sur la liberté et la vérité.
J’ai pu mesurer également que mon intervention a eu des effets sur les encadrants et personnels des deux structures. Personnels pédagogiques, surveillantes, conseillères pénitentiaires d’insertion et de probation ont posé un regard sur cette intervention comme si
elle pouvait avoir un écho sur leur propre vécu. Le Yoga a été considéré avec bienveillance,
curiosité et intérêt. Il a permis un dialogue et un échange dans lequel les gens se dévoilaient, parlant d’eux-mêmes dans le rapport au métier qu’ils pratiquent et les résonances qu’il a dans leurs vies.

Ce qui a été transformé en moi dans cette expérience et grâce à ce public, c’est que le Yoga (dans ma pratique et dans la façon dont je l’ai pratiqué avec d’autres) m’a amené à pouvoir prendre cette mesure du corps comme un monde en soi porté par un langage universel.
Avec le Yoga, on peut parler à tout le monde.

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